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Cote : BB238
DiasporaLangues : français Fiche n° : 6391 Ouvrage Cuisines en partage Toulouse : Framespa-Diaspora (UMR CNRS 5136), 2005. - 244 p. Périodique : Diasporas Histoire et sociétés, 2 Résumé : La cuisine, art d‘élaborer des aliments et de leur donner saveur et sens, semble constituer un enjeu particulier pour les diasporas. En effet, ne fait-elle pas l’objet, à travers les différentes formes qu’elle revêt, depuis l’intimité familiale jusqu’au restaurant ethnique, de forts investissements affectifs, symboliques, esthétiques et économiques ? Elle est sans doute en premier lieu, dans la dispersion, une manière de se rassembler, de se retrouver autour d’un véritable «culte de la table dressée», pour reprendre le titre évocateur de l’ouvrage de Joëlle Bahloul, qu’elle a tiré de la tradition juive. Comme le double sens du mot le suggère, la cuisine est aussi un espace matériel, un lieu où l’on peut lire les rapports sociaux de genre et de générations, la distribution des rôles, un endroit où résonne la sociabilité quotidienne de la diaspora. Dans quelle mesure cette manière d‘être ensemble, sur un mode communautaire, résiste-t-elle à l’usure de l’absence et de l‘éloignement ? La cuisine obéit à des rites d‘élaboration et de préparation qui traduisent une représentation au monde, une cosmogonie qui est à la fois de l’ordre de l’imaginaire et de l’ordre matériel. Chaque groupe élabore des rites alimentaires, des interdits, des séparations entre pur et impur, sacré et profane, fête et quotidien, qui marquent son appartenance à un monde distinct. Les manières de faire culinaires provenant d’une histoire, d’apports successifs de populations, sont l’expression d’identités régionales et nationales. Mais on peut remarquer avec la sociologue Annie Hubert que la désignation d’un « plat national » est souvent une élaboration qui vient de l’extérieur, de l‘étranger, et constitue une image miroir de l’identité. Les cuisines se déclinent au pluriel parce qu’elles se modifient, se transforment grâce aux influences et aux échanges entre populations, aux nouveaux produits apportés, aux circulations des marchandises. L’aubergine est introduite au Maghreb par les marchands arabes en provenance d’Asie, puis réappropriée par la cuisine juive. Ainsi en va-t-il des cuisines en Europe, aux Antilles, en Afrique. Le gombo se cultive au Maghreb et en Afrique et se retrouve dans la cuisine créole de la Louisiane. Circulation, adaptation et invention nous paraissent caractéristiques de ces cuisines. L’activité culinaire se heurte à l’impossibilité de reproduire à l’identique les pratiques alimentaires. Elle s’invente en fonction des aléas de la migration (l’absence de certains ingrédients ou ustensiles traditionnels, par exemple), mais aussi de la nécessité et/ou de la volonté de partager avec d’autres, à l’extérieur du groupe d’origine. Ainsi, bien au-delà d’une revendication d’appartenance, la cuisine serait une manière de signifier la frontière avec les autres et éventuellement de l‘ériger ou d’en estomper les contours. Tandis que certaines règles alimentaires séparent clairement, comme la cacherouth ou la nourriture hallal, d’autres réunissent les groupes autour de pratiques de mélange. Certains pays revendiquent ce métissage de leurs cuisines comme un héritage, un patrimoine, une appartenance. La cuisine métissée, apport de migrations successives, serait l’expression unitaire d’un pays. Mais les populations qui consomment les cuisines d’ailleurs expriment-elles un esprit d’ouverture, de curiosité, de partage ? Manger indien, chinois ou japonais affecte-t-il nos comportements ? Ou est-ce davantage la marque de la mondialisation ? Assiste-t-on à une uniformisation des goûts, et quel en serait le sens ? Ce problème complexe ne doit pas être occulté. Pourrait-on même parler dans certains cas de protectionnisme culinaire, appelé à défendre l’identité d’une région donnée ou à en imprimer la marque ? Commerçants, restaurateurs, fabricants de cuisines d’ailleurs n’en jouent pas moins dans les pays d’installation un rôle indéniable d’attraction, de diffusion, d’enrichissement. Goûts et aliments circulent avec les diasporas et forment la base d’un échange avec les sociétés d’accueil. Leur importance économique se signale continuellement au cours de l’histoire : épices, fruits dits « exotiques », céréales, café, thé, riz, couscous, modes de cuisson, on pourrait multiplier les exemples. Peut-on suivre ces parcours culinaires qui épousent les trajets humains mais aussi, parfois, naissent de l’exil, à tel point que certaines formes culinaires présentées comme traditionnelles par les migrants n’existent guère ou comptent fort peu dans les pays de départ, car elles ne sont que le fruit de ces pérégrinations dont on a fini par perdre l’origine ? Marqueur identitaire, la cuisine est transmission d’une mémoire olfactive, gustative, sensible, une évocation toute proustienne des saveurs du pays à la fois perdu et promis. C’est donc à l’histoire de ces apports et de ces emprunts, à ces saveurs nouvelles, que nous avons entendu nous attacher, aux acteurs et créateurs de ces cuisines comme à la pluralité de ces manières de faire et d‘être. [Editorial] |